Les routes étaient bien moins rassurantes que les villes pour un gamin maigrichon et haut comme trois pommes. Qui savait quels terribles Pokémon rôdaient dans le coin ? Généralement, il ne s'agissait de pauvres Skitty ou Zigzaton. Enfin, "que" ? N'importe quelle créature de poche étaient infiniment plus puissante qu'un humain bien entraîné. Dans des moments pareils, Sylvère comprenait bien mieux ces Teams débiles qui se rendaient une fois à court de Pokémon contre un gosse de onze ans. Même le meilleur des revolvers ne l'aurait pas sauvé du Reptincel de Red. Les grands aventuriers de Maze semblaient inconscient de ce déséquilibre entre l'homme et la "nature", si tant est que l'on pouvait ainsi décrire les zones d'extérieur dans ce jeu. Ils partaient à la conquête du monde comme s'ils ne risquaient rien, comme s'ils savaient qu'ils remporteraient tous les combats et ne craignaient aucun des dangers. C'était ainsi que le jeune garçon les voyait mais au fond, n'étaient-ce pas eux les dresseurs courageux et lui la lopette ? Une pensée qui lui serra le gorge.

Bien que jaloux, il ne lui serait jamais venu à l'esprit de les imiter. Depuis toujours, il ne s'était jamais imaginé parti sauver le monde à l'instar de son avatar dans les jeux s'il se retrouvait dans le monde des Pokémon. C'étaient le cas de beaucoup, et sûrement de ceux qui jouaient en compétitif. Avoir le meilleur monstre, avec les meilleures stats, la meilleure nature, ça ne lui parlait pas vraiment. Ce qu'il voulait, c'était avoir une grande maison remplie d'amis à poils, à plumes ou à écailles. Si c'était ainsi qu'on les appelait ici, alors il convenait bien au terme de collectionneur.
Tout cela pour dire que ce n'était pas l'esprit serein qu'il visitait les routes.

Pour toutes ces raisons, Sulvère ne s'était pas vraiment éloigné de Southfield. Il lui aurait suffi de quelques pas - ou plutôt d'un petit jogging, pour fuir jusqu'à la sécurité de la ville si jamais une sale bête le prenait en chasse. Il espérait bien trouver un potentiel compagnon, ou au moins une jolie créature à observer, sans trop prendre de risque. Peut-être qu'un jour il se concocterait une équipe qui lui donnerait plus d'assurance, mais pour le moment, accompagné d'un simple chat mal luné, il était plutôt mal barré pour un Man vs Wild.

Dire que la première rencontre du jeune dresseur avait été un face à face épique avec un monstre géant, ou encore qu'il avait sursauté en voyant une créature surgir des fourrés, prête au combat, aurait été un énorme mensonge, dont même Pinocchio ne se serait jamais remis. C'était Chloé qui avait remarqua, gisant à l'ombre d'un arbre, un Goinfrex assoupi, comme ils en avaient l'habitude. Un futur Ronflex, c'était certain.
Il était bien mignon, avec son souffle régulier et son air reposé. Sylvère n'aurait pas osé le réveiller.
Selon lui, parce qu'il se serait senti coupable de déranger la quiétée d'un Pokémon qui ne lui avait rien demandé, mais aussi parce qu'il préférait ne pas prendre le moindre risque : qui savait de quelle humeur serait l'ourson si on le sortait de force de son sommeil ? Il savait d'expériences que les plus gros dormeurs étaient aussi les plus grincheux. Il s'était pris plus d'une tarte, enfant, à chercher à réveiller ses grands frères et sœurs, alors adolescents, le dimanche matin pour jouer. Recevoir une claque d'une personne de quinze ans n'était dékà pas appréciable... alors celle d'un Pokémon ? Pour peu que celui-ci connaissait une attaque destructrice à la Ultimapoing, s'en était fini de la courte aventure du bonhomme.

Tant pis, il chercherait ailleurs.

Avait-il été une erreur que de ne pas souhaiter aller trop loin dans sa quête de Pokémon ? Après réflexion, peut-être le garçon devrait-il aller plus loin, après tout. Si les monstres de poches étaient comme les animaux de la vie réelle, ils n'aimaient pas trop s'approcher des villes, à l'exception des nuisibles, peut-être, que personne n'appréciait particulièrement, à part les punks à rat. Oh, il y avait sûrement des Zigzaton de Galar dans les rues non loin, bien cachés pour ne pas se faire déranger.

Oh et puis zut, un élan de courage enveloppa Sylvère, qui osa faire quelques pas, plus loin que ce qu'il avait réfléchi. Il alla plus loin que le Goinfrex, et, plus brave qu'il ne l'était, plus loin même que ce rocher, là bas. Bon, il n'avait pas couru le marathon mais il se satisfaisait déjà de ces quelques pas, tout tremblants, précédé par la Chaglam qui vérifiait régulièrement qu'elle était bien suivie. Elle avait une assurance que lui enviait son dresseur.

Quand une main agrippa la manche de Sylvère, il manqua de crier, mais pas de sursauter. Il voyait déjà le brigand derrière lui, lui demander la bourse ou la vie, un canif à la main. Ah, il savait qu'il n'aurait jamais dû quitter Mosfell, toutes ses mauvaises décisions avaient abouti à ce moment précis.
Il se sentit bien bête, en revanche, lorsqu'il ne remarqua personne aux alentours, même après s'être bien retourné dans tous les sens. Il finit par baisser les yeux, un enfant peut-être ? Non, ses iris bleus rencontrèrent une paire noir de jais. Un Queulorior le regardait, l'air bête, la langue à moitié tirée et son béret de fourrure, un peu trop grand, l'aveuglant presque. Il n'avait en rien l'air agressif. Au pire, il était curieux. Néanmoins, il était trop proche du garçon à son goût, puisque sa peinture perlait sur ses chaussures.

Après réflexion, il était même un peu mignon, ce drôle de... chien ? On le l'aurait pas dit à sa position bipède mais ses oreilles et ses paupières pendantes rappelaient à l'humain un beagle, ou peut-être un basset. Qui sait ce que pensait la personne qui avait pu designer ce truc. Son air maladroit et ses qualités canines le rendaient attachant.
Si Sylvère s'en souvenait bien, ce n'était pas un Pokémon doué des plus grandes prouesses au combat. Ca, il s'en moquait bien, après tout, cela rendait même la capture de cette bestiole plus intéressante. Qui s'intéresserait à un monstre faible, à part lui ? Certainement pas les combattants ou les survivalistes qui faisaient tout pour sortir du jeu. Il lui faisait soudain un peu de peine, ce Queulorior, tout seul, avec ses yeux humides.

Pourquoi pas, après tout ? Ses Pokéballs étaient faites pour être utilisées.