Le jeune fleuriste ne se serait jamais décrit comme quelqu'un de contemplatif. Il n'était pas philosophe pour un sous - il n'aimait pas réfléchir, au risque de se retrouver avec des pensées négatives, mais l'hiver le rendait mou. Il était presque fini, certes, et les saisons n'avaient pas le même sens dans Maze, mais son corps avait encore la mémoire du monde réel. Chez lui, sa famille devait frissonner en sortant le matin pour aller travailler. D'ailleurs, que leur était-il arrivé, depuis ?
Avaient-ils seulement remarqué que leur fils avait disparu ? Si non, il n'aurait pu en vouloir qu'à lui-même. Il avait passé plus d'un an à ne presque jamais sortir et il était même devenu professionnel dans l'art de ne croiser personne lorsqu'il devait aller se faufiler jusqu'au frigo. Même s'ils avait vu qu'il manquait à l'appel, de toute façon, Sylvère n'était pas sûre qu'ils en auraient eu quelque chose à faire. Et comme il le craignait, il se mit vite à avoir des idées noires.

Sa famille ne lui manquait pas, il ne souffrait en rien de leur séparation et quelque part, il s'en sentait coupable. On est censé aimer sa famille sans concessions, envers et contre tout, même lorsqu'ils ne faisaient rien pour mériter la moindre dose d'amour. Il s'était pris assez de remarques incisives et d'insultes pour perdre confiance. Et malgré ça, il espérait toujours manquer à ses proches. Peut-être parce qu'il espérait encore pouvoir réparer des relations bancales et déséquilibrées, ou simplement souhaitait-il les voir souffrir. L'adolescent préférait imaginer la première, sans quoi il s'en serait voulu de paraître si cruel.

Ce fut Chloé qui le tira de ses réflexion en sautant sur la table contre laquelle il somnolait. Roucoulant, elle lui adressa un coup de boule, avant de réclamer des caresses. En quelques semaines, il s'était plus attaché à une suite de zéro et de un sous forme féline qu'à ses propres parents. Elle était si mignonne...
La minette s'arrêta néanmoins de ronronner après quelques grattouilles pour se figer et cracher en direction du lit. Cela attira l'attention de son dresseur, qui se tourna pour tomber sur Léo, dangereusement proche des deux œufs qu'il enrobait dans sa propre couette pour leur tenir chaud.

NON !

Le peintre se tourna mais il était trop tard. Alors que son maître ne regardait pas, il avait habilement peint des visages souriants sur les coquilles de son encore noire. Il semblait plutôt fier de son œuvre, à en juger par les yeux pleins d'étoiles levés vers le garçon. Lui, au contraire, affichait une mine déconfite.
Il ne doutait pas qu'il en rirait plus tard, mais son côté maternel avait pris le dessus. Il attrapa de force l'artiste incompris pour le poser au sol, avant de se précipiter pour chercher de quoi nettoyer les pauvres victimes. Il n'était pas zoologue, mais il ne comptait pas mener à bien sa propre expérience pour savoir si la peinture allait ou non affecter la croissance des futurs bébés. Il était largement possible que rien ne se passe, comme avec les fameux œufs de Pâques qu'il prenait plaisir à décorer en maternelle, mais il n'était pas une personne à risques.
Il frotta frénétiquement. Heureusement, la coquille était dure, comme celle d'un œuf d'autruche, lui permettant d'user de l'huile de coude sans risquer de la briser. C'était parfois une force d'avoir des mouvements délicats comme les siens. Bien vite, toute trace noire disparut, devant un Sylvère fier de lui. Il se retourna ensuite vers le Queulorior. Le pauvre avait les yeux braqués contre le parquet et la langue pendante, tout triste. Son humain s'en voulut vite.

Désolé mon beau, j'ai paniqué. Je t'ai déjà dit de ne pas t'approcher, c'est fragi-

Mais le jeune garçon ne put finir sa phrase. Un son l'interrompit sèchement : un craquement. Il retourna vers son lit à la vitesse de l'éclair, impatient et un peu inquiet. Il espérait ne pas avoir juste fragilisé les coquilles avec des gestes trop brusques...

Les peurs du garçon se dissipèrent vite. Derrière un bout de coquille brisé, il put apercevoir un pelage rose, collé contre la paroi, mature et prêt à sortir. Il dut se contenir pour ne pas aider la créature à sortir : il ne fallait pas interférer avec ce genre la nature ! Petit à petit, la créature à l'intérieur se révéla. Une patte brune sortir, puis deux, puis trois, avant d'entièrement briser sa prison de kératine, arborant de grandes oreilles blanches et une adorable bouille de peluche. Pas besoin d'être un grand professionnel pour reconnaître un Nounourson. Ce dernier, fatigué par cet effort, miaula doucement avant de se rouler en boule pour s'installer confortablement. Son humain était incroyablement tenté de lui offrir quelques caresses, il était tellement mignon ! Mais il avait une assez bonne mémoire pour se souvenir du Pokédex. Il n'avait pas envie de finir avec un bras cassé... quelle arnaque, un monde virtuel où on pouvait se blesser.

Alors, à peine son camarade né, le second œuf commença à bouger, comme animé par sa propre volonté. Celui-ci était plus petit que l'autre, faisant presque nabot à côté. Pourtant, il n'eut pas plus de mal à se libérer. En quelques instants, une boule jaune apparut, avec une fière tige verte à son sommet. Un superbe Tournegrin, en somme. Pas le plus puissant des Pokémon - à vrai dire, c'était le plus faible des jeux, et alors ? Sylvère s'imaginait déjà accompagné d'un beau tournesol souriant, qui irait si bien avec les fleurs de la boutique.

Avec deux nouveaux monstres dans l'équipe, il allait avoir beaucoup à faire.